Comportement social des Primates: l'épouillage

Bien plus qu'un acte d'hygiène, l'épouillage représente une forme de communication tactile, marquée d'une importante fonction sociale. Pratiquée par de nombreux primates, il contribue à resserrer les liens entre les membres du groupe. Les relations d'épouillage peuvent avoir lieu entre une mère et son enfant , ou entre des singes adultes (partenaires sexuels ou non). Dans ce dernier cas, elles s'établissent en fonction de la position hiérarchique dans le groupe et des affinités particulières qui naissent entre les individus.
Quand ils ne cherchent pas de quoi manger, les singes entretiennent leurs relations par des séances d'épouillage mutuel, débarrassant réciproquement leur fourrure des poussières, peaux mortes et parasites. La vie en groupe est parfois rude, et de nombreux singes usent de leurs services d'épouillage comme d'une monnaie pour s'octroyer certaines faveurs ou avoir accès aux choses qui peuvent améliorer un tant soit peu leur estime.
Le toilettage évacue les tensions que crée la concurrence. Un stress trop important réduit la fertilité des femelles: les hormones du stress bloquent l'action des hormones de reproduction comme les oestrogènes et la progestérone (les ovaires ne libèrent plus d'ovules ou la grossesse peut se trouver compromise).
L'épouillage est un équilibre; il stimule la production de substance aux effets semblables à ceux de l'opium, qui annihilent les effets des hormones du stress. La domination est une cause de stress: les femelles dominantes des babouins du parc nationale de Gombe, au nord de la Tanzanie (pays des fameux Chimpanzés de Jane Goodall), font plus de fausses couches que celles de rang inférieur et ont une progéniture moins nombreuses, en dépit des avantages que leur confère leur haut rang en matière de nourriture. Le rôle dominant n'est pas forcément aisé pour les femelles qui doivent se battre pour maintenir leur rang; la position d'agresseur est pratiquement aussi stressante que celle de victime.
Le toilettage libère la tension du "pouvoir exécutif" des supérieurs tout en apaisant les victimes.
Les femelles de bas rang améliorent leur existence en proposant leurs services d'épouillage aux femelles dominantes; elles apaisent l'agressivité de ces dernières et diminuent le risque de se voir agressées par elles plus tard. Les femelles dominantes tolèrent d'avantage la présence, près d'une source de nourriture, de celles qui les épouillent, les laissant se sustenter plus volontiers: c'est le commerce du toilettage en échange des faveurs des dominantes; ces dernières sont l'objet de beaucoup d'attention.
C'est aussi une source de concurrence; la rivalité entre les toiletteuses attire l'attention des dominantes: les femelles de plus haut rang tendent à se faire épouiller uniquement par celles de rang voisin, empêchant les subalternes d'accéder à leurs faveurs.
La plupart des femelles s'en tiennent au toilettage des individus du même rang hiérarchique; cela ne signifie pas qu'elles renoncent: les femelles peuvent devenir expertes dans l'art de saisir l'opportunité de côtoyer les individus susceptibles de leur accorder des bénéfices ou possédant des atouts convoités.
Chez certaines espèces les femelles épouillent davantage les jeunes mères dans l'espoir de pouponner un peu leurs petits.
L'épouillage est une "réconciliation": après un rixe, il n'est pas rare de voir les deux antagonistes adopter une attitude amicale; on explique ce comportement par la valeur sociale du toilettage et par le fait que les femelles n'ont aucun intérêt à perdre un partenaire apprécié pour une simple bagarre. Chaque adversaire signale à l'autre qu'il a cessé son agression.

Le toilettage libère dans le cerveau des endorphines (semblable à l'opium): les singes sont littéralement enivrés. Chez l'homme, les endorphines sont produites lors de certaines situations de stress afin de réduire la douleur. En tirant les poils de la fourrure, elle produit une douleur modérée, ce qui déclenche la libération d'endorphines.
Les animaux détendus tombent de sommeil, oublient tout de leur entourage. Le toilettage se pratique entre animaux d'ordinaire amicaux entre eux, car la relation demande une totale confiance envers le partenaire. Tous les singes sont des compulsifs du toilettage, cela explique pourquoi parfois il est utilisé comme monnaie d'échange.
Il intervient dans la majeure partie des stratagèmes dont usent les singes, et certaines espèces y consacrent jusqu'à 20% de leur temps.
La concurrence pour la nourriture agit sur les relations sociales au sein d'un groupe, mais aussi sur le nombre d'individus qui le constituent.
Quand un groupe s'agrandi ils occupent une zone de plus en plus étendue pour que chacun continue de manger à sa faim et pour que les prises de bec soient moins fréquentes. Les rivalités intolérables scindent le groupe en deux: chacun de ces nouveaux groupes doit être suffisamment important pour assurer la protection des animaux contre les prédateurs, et ce fractionnement ne s'opère parfois que des années plus tard.
L'épouillage a sa part de responsabilité dans la séparation; il est le lien qui assurent l'unité d'un groupe: c'est un "ciment sociale".
Cas d'un groupe restreint: la nourriture est plus facile d'accès et les animaux peuvent exercer leurs talents de toiletteur sur qui ils le désirent. Quand le groupe s'élargit, le maintient des relations devient plus difficile.
Les grands groupes tendent donc à se diviser en clans. Les individus d'un même clan s'épouillent alors mutuellement, mais n'ont que peu de relations avec les membres des autres clans. Au fil du temps, les clans ont des rapports plus distants. Ils se déplacent séparément, mais se regroupent encore la nuit tombée, pour finalement devenir indépendants les uns des autres.